Le 18/08/2011 à 10:56 - Mis à jour le 18/08/2011 à 11:10
"Nous craignons la crise 2.0"
Connue pour ses prévisions plus pessimistes que le consensus et ses prédictions osées, la banque danoise SaxoBank (maison-mère de Saxo Banque) envisage un deuxième semestre sous le signe de la volatilité. Le président de la filiale française, Pierre-Antoine Dusoulier, s’inquiète d’un éventuel retour de la crise. Capital.fr : Que change la dégradation de la note de la dette américaine par Standard & Poor’s ? Pierre-Antoine Dusoulier : C’est un événement qui restera dans les livres d’histoire, à l’image des accords de Bretton Woods. Dans l’immédiat, il est impossible de mesurer les conséquences de cette décision. En 2008, les Etats ont sauvé les banques. Cette fois, ce sont les Etats qui sont au bord de la faillite. Et la dégradation de la note américaine démontre que le problème est encore plus grave que ce que l’on pensait. Capital.fr : La nervosité domine les marchés depuis cette annonce. La volatilité est-elle appelée à durer ? Pierre-Antoine Dusoulier : La volatilité est là pour rester longtemps. Pour l’instant, personne ne réalise les conséquences de la dégradation de la dette américaine sur l’économie réelle. Tant que les acteurs n’auront pas une vision claire, les marchés pourraient connaître des variations quotidiennes de 6-7% dans la journée. Il va falloir du temps pour digérer cette nouvelle. De plus, les acteurs ne réagissent pas selon les fondamentaux habituels et sont très sensibles aux signaux des entreprises ou aux indices macroéconomiques. Les dettes européennes se font attaquer alors qu’on s’attendait à ce que la dégradation des Etats-Unis provoque un mouvement de fly to quality. Nous n’arrivons pas pour l’instant à comprendre ce qui se passe exactement. Capital.fr : Cela confirme vos prévisions pessimistes… Pierre-Antoine Dussoulier : Une telle agitation est souvent prémonitoire d’une mauvaise évolution. A l’été 2008, les marchés avaient été très volatiles, et en septembre, on assistait à la chute de Lehman Brothers. C’est une mauvaise tendance pour les investisseurs. D’autant qu’un grand nombre d’entre eux venait de revenir sur les marchés, car ils avaient été échaudés par le recul de la crise de 2008-2009. Ils risquent de fuir vers les investissements les plus prudents comme l’or. Dans nos dix "prévisions chocs" publiées fin 2010, nous avions estimé que l’once pourrait atteindre cette année 1.800 dollars l’once cette année, un cap récemment franchi… Et je pense que nous pourrions encore viser plus haut. Capital.fr : Pensez-vous que nous sommes aux portes d’une nouvelle crise ? Pierre-Antoine Dusoulier : Nous avons peur de la crise 2.0, ainsi que l’a baptisée notre économiste Steen Jakobsen. Le 2.0 signifie que nous sommes dans la deuxième étape de la crise qui a démarrée en 2008. Mais aussi que c’est un nouveau type de crise dont on a du mal à avoir jusqu’où il va nous mener. Nous sommes près du précipice, même si nous n’y sommes pas encore. On peut imaginer un scénario catastrophe où les Etats-Unis n’arrivent pas à un accord interne sur leur dette et où la zone euro s’enfonce avec les difficultés des pays périphériques. Les vieilles économies sont en difficulté et la situation mondiale est pleine de petits feux qui pourraient provoquer une contagion, comme cela a eu lieu en 2008. Un seul dérapage peut se terminer en catastrophe. Mais cela n’est pas encore pour nous le scénario dominant. Avant, nous avions 1% de chances d’avoir une ruine totale. Désormais, nous en sommes à 2-3%. Capital.fr : Quel rôle peuvent jouer les politiques pour éviter la catastrophe ? Pierre-Antoine Dusoulier : Cette fois, il va falloir que les États s’entendent réellement et nous espérons que les décisions prises par les politiques seront les bonnes. La sortie d’un Etat de la zone euro provoquerait une réaction en chaîne. D’autres seraient tentés par un retour aux barrières douanières et à des comportements individualistes : cela n’engendrerait que plus de récession. Les politiques doivent également convaincre la population de la nécessité des réformes. Les mouvements comme celui des indignés démontrent que les opinions ne sont pas forcement prêtes à accepter des mesures destinées à sauver les finances publiques. Mais pour moi, la négociation devrait avoir lieu à un niveau inférieur à celui des chefs d’Etat. Quand Angela Merkel et Nicolas Sarkozy discutent, ils sont tous les deux soumis à la pression de leur opinion publique : ils doivent revenir avec un accord qui ressemble à une victoire pour leur pays. La négociation devrait avoir lieu entre des personnes à l’agenda moins politique et à l’expertise économique plus poussée, dont les ministres des finances. Capital.fr : L’Asie sera-t-elle touchée par un ralentissement de l’Europe et des Etats-Unis ? Pierre-Antoine Dusoulier : La lutte contre l’inflation va refroidir la croissance asiatique. Mais son sort n’est plus directement lié à celui des occidentaux. Si elle perd ses gros clients dans la zone euro ou aux Etats-Unis, ce sera moins grave qu’avant. Car elle va désormais se reposer davantage sur sa croissance intérieure. Là où l’Europe cherche a préserver ses acquis, la Chine cherche à transformer une population encore relativement pauvre en riches : cela amène toujours de bonnes choses à l’économie. L’Asie reste la zone sur laquelle tout le monde parie. Capital.fr : Dans vos prévisions, vous comparez la situation des monnaies au deuxième semestre 2011 à celle d’une course de chevaux boiteux… Pierre-Antoine Dusoulier : C’est un concours de laideur entre les différentes zones. L’euro est pénalisé par les difficultés de la Grèce, le dollar va mal, mais ne perd pas tant de terrain que cela par rapport à la monnaie européenne. Dans l’ensemble, les grandes monnaies sont sur la sellette. Seules les valeurs refuges telles que le franc suisse sont en mesure de résister aux difficultés actuelles. Les menaces progressent partout, les cieux sont gris. Propos recueillis par Andy David et Nicolas Gallant
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