mardi 12 février 2013

Comment les bateaux assassinent la mer



De : Sante Nature Innovation
  
Cher lecteur,

Votre lettre d’information du jour a été rédigée par Pierre Lance, auteur de « Savants maudits, chercheurs exclus ».

Je vous souhaite une bonne lecture.

Jean-Marc Dupuis

Comment les bateaux assassinent la mer

J'habite à Cannes depuis quelques années et il m'arrive de me promener sur le Quai St-Pierre, qui borde l’ancien port de pêche (devenu principalement port de plaisance), comme le font les touristes pour admirer les bateaux, les plus prisés étant les beaux voiliers tout en bois ou presque, qui participent à de nombreuses régates durant la saison.

En cette année 2012 qui se termine, on vient d’achever les travaux de rénovation de ce quai, tout au long duquel s’alignent les postes de recharge électrique des batteries des yachts. Ceux-ci ont été décorés de photographies anciennes ou récentes qui retracent toute l’histoire de ce quai depuis le XIXe siècle. Nul doute que les vacanciers qui déambuleront l’été prochain sur ce quai apprécieront la fière allure des bâtiments de toute taille qui y seront amarrés. Mais auront-ils la moindre idée de ce qui se passe sous la ligne de flottaison ?

Voici ce qu’écrit à ce propos Henry Augier dans son excellent et alarmant ouvrage

Le livre noir de l’environnement, 

paru en 2008 (Editions Alphée-Jean-Paul Bertrand) :

«La plupart des matériaux que l'on place dans l'eau de mer - et en particulier les coques des bateaux - sont rapidement colonisés par de nombreux organismes qui trouvent là un support favorable à leur développement. Ces organismes forment une communauté appelée fouling par les Anglo-saxons et salissures en France. Les bactéries marines sont les premières à former, sur ce substrat neuf, une pellicule - la bactérioglée - qui se signale par l'aspect visqueux des surfaces recouvertes.. De minuscules algues - les diatomées - se fixent ensuite en grand nombre, ainsi que toute une population de protozoaires (folliculines, vorticelles, etc.). Le substratum est dès lors prêt pour être colonisé par des organismes de plus grande taille pour lesquels la micro-couche biologique déjà constituée jouera le rôle fondamental d'ancrage pour leurs formes de dissémination. (...) On a dénombré plus de 4.000 espèces responsables des salissures des coques de bateaux. (...) Le fouling des coques de navire se traduit non seulement par un revêtement plus ou moins continu de la surface des parois, mais également par la formation de boursouflures, de protubérances et d'aspérités. L'ensemble se manifeste par un accroissement de charge pour le bateau et une entrave pour son déplacement. Les résistances de frottement engendrées par les salissures peuvent réduire jusqu'à 30 % la vitesse initialement prévue du navire. Pour maintenir cette vitesse, on doit accroître la consommation de carburant. (...) Déjà, en 1973, Phillip avait évalué que les dommages causés à l'économie mondiale par les salissures s'élevait à un 1 milliard de dollars par an...)» 

Je précise qu’Henry Augier n'est pas tout-à-fait n'importe qui. Docteur d'État, Maître de conférences honoraire à la Faculté des sciences de Marseille-Luminy, professeur honoraire de l'École Nationale des Travaux Publics de l'État, il a dirigé un laboratoire spécialisé dans l'étude des nuisances. Il a été également responsable de l'enseignement de la molysmologie (science des pollutions) à l'Université de la Méditerranée et Expert consultant international sur les problèmes de pollution et de protection de la nature.

Tout nettoyage est un massacre

On conçoit que ces inconvénients et pertes financières dues au «fouling» n'étaient plus tolérables. L'ingéniosité humaine s'est donc attelée à ce problème et lui a trouvé une solution radicale dans la mise au point de peintures spéciales anti-salissures qui ont le pouvoir de dissuader les micro-organismes de se fixer sur les coques des bateaux.

Comment ? Eh bien, c'est simple : ce sont des peintures hautement toxiques, ennemies absolues de toute forme de vie. Grâce à elles, les coques restent propres. Du moins pendant un certain temps. Car, comme nul ne l'ignore, tout s'use en ce bas monde. Et qu'appelle-t-on usure ? Tout bonnement la diffusion progressive des particules de matière dans l'environnement. Il faut donc refaire ces peintures environ tous les deux ans. Et qu'est devenue entre-temps la vieille peinture toxique ? Vous l'avez deviné : elle s'est diluée dans la mer, qu'elle empoisonne tout doucement. Car les substances contenues dans les peintures anti-fouling ont été conçues pour tuer et ne font évidemment aucune distinction entre les espèces de la faune et de la flore sous-marines.

Leur action mortelle se poursuit implacablement quand elles quittent la coque du bateau et peuvent agresser l’homme lui-même à travers sa consommation des poissons et fruits de mer.

Autrement dit, le nombre des navires qui sillonnent les océans étant en constante augmentation, et la navigation de plaisance étant en plein essor, l'empoisonnement des mers est inexorablement programmé, sauf si nos merveilleux ingénieurs et scientifiques ne trouvent pas de toute urgence une autre solution anti-salissures que l'emploi de peintures toxiques. Afin de mesurer l'ampleur du problème, rappelons qu'un pétrolier de 125.000 tonnes exige, pour remettre sa coque à neuf... 65 tonnes de peinture !

Ah ! quel plaisir que la plaisance !

Quant à la flotte plaisancière, elle comptait en 2007 pour la France seule 880.000 bateaux, avec seulement 120.000 anneaux (places fixes dans 265 ports). Ceux qui n'ont pas d'anneau sont entreposés à terre ici ou là dans des garages, des hangars ou des aires de carénage ou bien se trouvent dispersés sur des aires de mouillage sauvages.

Il faut noter que les bateaux amarrés dans les ports ne naviguent en moyenne que 5 jours par an et sont surtout utilisés comme résidences secondaires. Beaucoup d'entre eux rejettent leurs eaux usées dans le port même, qu'ils transforment ainsi en cloaque. On a même vu des inconscients jeter dans le port des batteries d'accumulateurs (témoignage d’un pêcheur qui en récupéra quelques-unes dans le port de Cannes). Or, celles-ci contiennent du cadmium, un métal extrêmement toxique qui fit une centaine de morts au Japon par suite d'une forte pollution locale.

Des équipes municipales de nettoyage s'efforcent de ramasser ce qui peut l'être, mais la tâche est malaisée quand les yachts stationnent bord à bord, séparés seulement par des ballons amortisseurs. Heureusement, de temps à autre, un courant marin emporte vers la mer détritus et immondices, qui abordent parfois les plages environnantes, au grand dam des baigneurs.

Est-ce à dire qu'il faille demander la suppression des bateaux de plaisance ? Evidemment non, car c'est l'un des agréments les plus prisés des touristes, retraités et vacanciers du monde moderne, et aussi l'un des plus beaux fleurons de l'industrie navale française, qui est réputée dans toute l'Europe. Non, il ne s'agit pas de renoncer aux prouesses de la civilisation technicienne, ce que d'ailleurs personne n'accepterait; il ne s'agit pas de renoncer, mais de réformer.

Je n'ai pu vous donner ici qu'un unique exemple d'une pollution grave et méconnue parmi les très nombreuses patiemment répertoriées par Henry Augier dans son livre de 600 pages en petits caractères (dont 140 réservées aux références scientifiques et à l'Index). C’est une véritable «Encyclopédie du diable», ce diable étant en l'occurrence l'homme lui-même, acharné à détruire la nature qui lui a donné le jour.

Mais ce que les hommes d'aujourd'hui doivent comprendre absolument, qu'il s'agisse de ce problème ou de n'importe quel autre de ceux évoqués par l'auteur, c'est que tous nos comportements et nos fabrications doivent être réétudiés de fond en comble, sous peine de mort à brève échéance pour l'espèce humaine tout entière.

Pierre LANCE

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