Illustration: Charles Mousseau

Par Luc Vaillancourt

Selon un truisme qu’il convient plus que jamais d’interroger, les médias seraient les gardiens de la démocratie. Vraiment ? Parce que, en ce moment au Québec, on a plutôt l’impression qu’ils se font les chiens de garde de la ploutocratie (système de gouvernement fondé sur le pouvoir de l’argent et qui perpétue l’inégalité des classes).

Dans Manufacturing Consent, un ouvrage phare qui date de 1988, Noam Chomsky et Edward Herman ont montré comment les médias de masse contribuent, plus ou moins délibérément, à la mise en place d’une propagande idéologique qui sert les intérêts des élites économiques et politiques.

On traduit d’ordinaire le titre par « la fabrication du consentement », mais je préfère le terme de « fabrique », non pas au sens premier d’établissement qui produit des objets de consommation, mais au sens médiéval et plus ésotérique de «personnes (prêtres et laïcs) chargées de l’administration des finances affectées à la construction et l’entretien d’une église ou d’une chapelle »(Wikipedia), parce que j’entends m’intéresser à un cas de figure en particulier, celui du journal La Presse et à ses grands prêtres du libéralisme économique.

Bon, ici, je vais devoir enligner les évidences, et j’en rougis d’emblée, mais comme j’entreprends d’écrire une série de chroniques sur les ratés des médias, il me faut d’abord poser la problématique convenablement pour éviter qu’on m’impute les mêmes travers que je dénonce. Et puisque je suis en vacances, je renonce au style académique et à toute espèce d’apparat critique pour privilégier un ton plus familier, un registre de terrasse (genre).

Dans un monde idéal, les informations véhiculées par les médias de masse devraient être objectives et les articles d’opinion bien équilibrés.

Il ne s’agit pas pour autant de prétendre à l’équipollence idéologique parfaite, jusqu’à trier, par exemple, les articles ou le courrier des lecteurs pour présenter un nombre égal de commentaires « pro et contra », mais il est souhaitable que différents points de vue trouvent à s’exprimer pour éviter que le journalisme, ce « quatrième pouvoir » (par allusion aux trois pouvoirs constitutionnels, exécutif, législatif, judicaire), ne devienne un instrument de propagande pour le régime en place.

Car les médias sont de formidables outils d’endoctrinement. Ils exercent une influence déterminante dans la cristallisation de l’opinion publique par leur manière de traiter l’information.

Je vous propose un exemple en guise d’apéritif à ce qui va suivre: pensez seulement à l’usage tendancieux qu’un journal bien en vue pourrait faire d’un sondage publié au lendemain du dépôt d’une loi spéciale controversée, et qui tendrait à démontrer que « Les Québécois appuient massivement le gouvernement » (voir La Presse du 19 mai 2012) dans son effort pour restreindre les droits et libertés de l’ensemble des citoyens.

Avant même que le public ait pu prendre connaissance des détails de cette loi, on affirme de manière péremptoire qu’une majorité l’approuve, ce qui tend à décourager chez le démocrate convaincu toute velléité de révolte.

Et si les données brutes ne suffisent pas, à elles seules, pour susciter la soumission à la volonté du plus grand nombre, les éditorialistes s’emploieront à insinuer, dans l’esprit des plus paresseux, ce qu’il faut en penser. Jour après jour.

Bien sûr, ça ne marche pas à tous les coups et avec tout le monde. Et il arrive que, le soir même, le bon peuple descende dans la rue pour manifester sa désapprobation et frapper sur des casseroles.

Il est normal, et même requis, pour un éditorialiste d’avoir des «opinions» et de les faire valoir. Le danger,  c’est de ne pas les reconnaître pour ce qu’elles sont justement, c’est-à-dire des jugements de valeur teintés d’idéologie, et de les présenter plutôt comme relevant du « gros bon sens » et de la logique la plus élémentaire.

Des exemples viendront bientôt, dans une succession d’articles intitulés « Le cas (suivi du nom de l’éditorialiste ou du chroniqueur pris en flagrant délit de désinformation ces derniers mois) ».  On peut donc s’attendre à retrouver successivement sur Mauvaise herbe « Le cas André Pratte/Alain Dubuc/Mario Roy/Yves Boivert/Lysianne Gagnon». Je m’occuperai éventuellement du « cas Martineau », et peut-être même de « l’affaire Duhaime », mais je pense qu’il faudrait consacrer tout un livre à ces derniers pour témoigner de l’ampleur de leurs distorsions des faits.

Car ce qu’il y a de plus dangereux encore pour la santé d’une démocratie, c’est lorsque les faiseurs d’opinions se bornent à jouer les perroquets du pouvoir, parce qu’ils partagent les mêmes valeurs et qu’ils entretiennent des intérêts communs, alors même qu’ils prétendent parler pour le plus grand nombre.

C’est le concept évanescent de la « majorité silencieuse », dont tout le monde se réclame pour s’en faire l’interprète, et qui n’est en fait qu’un vulgaire sophisme. L’opinion publique étant par nature changeante et facile à manipuler, elle ne saurait avoir une valeur véritablement représentative.

Ce ne serait pas un problème dans une société où les médias sont contrôlés par différents groupes d’intérêts qui trouveraient à s’équilibrer ; en revanche, cela devient périlleux lorsque la propriété, la concentration et la convergence des médias de masse sont l’affaire de deux ou trois individus proches du pouvoir.

Il arrive ainsi qu’une boite a priori respectable, La Pressepour ne pas la nommer, se transforme en agence de relations publiques pour le compte de son propriétaire ou, pire encore, en instrument de conditionnement idéologique au service d’intérêts privés.

Il arrive ainsi que le mépris d’une classe sociale vis-à-vis d’une autre trouve à s’incarner, plus ou moins consciemment, dans la ligne éditoriale dominante.

Je ne ferai pas de procès d’intentions. Je l’ai déjà dit, je ne crois pas à un complot des forces néolibérales et il faut bien admettre qu’il existe des voix dissidentes à la Presse (Patrick Lagacé, Michèle Ouimet, Rima Elkoury, Vincent Marissal). Je m’intéresse à ce journal en particulier parce qu’il peut servir d’étalon de mesure pour ce qui va de travers dans nos médias en ce moment.

Je me bornerai à départager, citations à l’appui, ce qui appartient en propre à l’information et ce qui relève de la manipulation rhétorique dans les articles relatifs à la crise sociale qui nous préoccupe. On comprendra mieux, au terme de l’exercice, pourquoi des événements inacceptables pour toute démocratie qui se respecte  (mensonges étatiques, arrestations préventives ou de masse, violation des droits civils, brutalité policière,) ont été ignorés ou marginalisés par ceux de cette Chapelle.

Mauvaise herbe.ca

C’est tellement ça! J’ai déjà hâte de lire la suite :)