mercredi 17 avril 2013

Les profiteurs



Les profiteurs du cinéma français

Source : Capital
05/04/2013 à 05:00 / Mis à jour le 05/04/2013 à 14:43


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© REA
Notre cinéma ruisselle d’argent public. Du coup, à condition d’avoir des relations, tout le monde peut faire des films, mêmes les mauvais !
Emmanuelle Béart est une tête d’affiche épatante. Quand elle défile avec les sans-papiers, les clandestins s’empressent autour d’elle. Quand elle se fait refaire les lèvres, les journalistes s’empressent autour d’elle. Quand elle tient le premier rôle dans un film, le Tout-Paris s’empresse autour d’elle. Et quand elle réclame de l’argent… les financeurs se battent pour lui en donner. Selon nos informations, l’Etat, le Centre national du cinéma (CNC) et les collectivités locales ont accordé en moyenne 559 745 euros de subventions publiques à chacun de ses trois derniers longs-métrages. En définitive, les seuls à manquer à l’appel dans cette belle histoire, ce sont les spectateurs. Pour ces trois mêmes opus, la star n’en a attiré en moyenne que 28 639, à peine plus qu’une fête de patronage. Le calcul est vite fait : chaque fois qu’un amateur a payé ses 10 euros d’entrée en salle, les contribuables en ont déboursé 19,54. Mais eux n’ont pas eu le droit de voir le film…
On savait qu’entre le cinéma et l’argent se jouait depuis toujours une drôle de comédie. Les chiffres que nous publions en exclusivité dans ces pages démontrent qu’elle n’est même pas drôle. Pendant que la profession s’invectivait sur le salaire des acteurs – en les accusant de s’en mettre bien trop dans les poches, le producteur Vincent Maraval a mis tout le milieu en émoi – nous nous sommes procuré les plans de financement d’une centaine de longs-métrages auprès du Registre public du cinéma et de l’audiovisuel, et nous les avons regardés à la loupe. Conclusion : notre système de subventions, prétendument vanté comme très efficace par les bons esprits du milieu, ne répond en réalité à aucune logique économique.


Non seulement les financements publics atteignent des montants colossaux (plus de 500 millions d’euros par an sans doute, en incluant la part des intermittents du spectacle), non seulement ils soutiennent à bout de bras des films que personne ne voit (44 longs-métrages ont attiré l’an dernier moins de 5 000 spectateurs), mais ils ont tendance à tomber toujours dans les mêmes poches. Et ce ne sont pas forcément celles qui le méritent le plus. Les films de Jacques Doillon sont sans doute bien plus intellos que ceux de Jean-Jacques Annaud. Mais cela justifie-t-il que les pouvoirs publics accordent 35,94 euros par spectateur aux premiers et zéro aux seconds ? «Dans ce monde-là, les choses sont toujours un peu mystérieuses», sourit François Garçon, historien du cinéma et excellent connaisseur du milieu.
C’est le moins que l’on puisse dire. Mis en place à partir de 1946 pour redonner des couleurs à nos œuvres en noir et blanc, qui risquaient – déjà ! – d’être écrabouillées par Hollywood, le système de financement de nos productions est devenu, au fil des ans, un incroyable bazar. Entre les aides directes du CNC (110 millions d’euros, financés par des prélèvements sur les diffuseurs), les soutiens des régions et des directions régionales du ministère de la Culture (38 millions d’euros), les avantages fiscaux accordés aux Sofica (20 millions d’euros), les généreuses allocations offertes aux intermittents du spectacle (plusieurs centaines de millions d’euros par an pour le cinéma proprement dit) et le crédit d’impôt de 20% sur certaines dépenses de tournage effectuées sur le territoire français (59 millions d’euros), il compte presque autant de guichets que la Sécurité sociale. «Chaque année, une nouvelle ressource apparaît, souffle Serge Siritsky, gérant de Cinéfinances.info, un site spécialisé sur ces questions. En 2013, par exemple, le plafond du crédit d’impôt a été porté de 1 à 4 millions d’euros.» Inutile de dire que cette profusion de payeurs répondant chacun à leur logique propre (et bien souvent à leur non-logique) ne facilite pas vraiment les contrôles. Et qu’elle permet à peu près tous les excès.
Car, dans cette foire à la donation de fonds publics, le copinage tient lieu de sésame et les caresses dans le dos de business plan. «Tout ce petit monde se retrouve dans les mêmes dîners et passe ses week-ends ensemble», grince le député UDI Charles de Courson, outré par la connivence entre le milieu parisien du grand écran et les élites qui nous gouvernent. Ce n’est donc pas un hasard si les commissions du CNC, qui attribuent des aides «sélectives» sur scénario, ont leurs habitués. Pour l’avance sur recettes, principal soutien pour les producteurs fauchés, qui ne la remboursent d’ailleurs jamais, c’est Jacques Rivette, Catherine Breillat ou encore Claire Denis qui tiennent le cordon. «On peut aussi citer Ruiz, Doillon, Jacquot, Resnais et quelques figures moins connues, voire carrément inconnues au-delà du cercle des copains initiés et de quelques critiques non lus», s’agace François Garçon. D’autant plus énervant pour les autres que cette bourse de 500 000 euros ouvre souvent la porte des régions et fait dégainer le carnet de chèques des chaînes de télévision. Peut-être ont-ils tous un don pour dénicher les futurs succès ? Même pas. Sur les 30 films français sélectionnés par des ­festivals étrangers en 2010, 10 seulement avaient bénéficié de l’avance sur recettes du CNC. ­Chapeau, les artistes !
Tiffany Blandin
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